Moudou Ould Mattalla et les chanteuses d'El Mouna
Mauritanie, guitares des sables
Buda / Universal
Réalisation : Boris Lelong
Le nom de Moudou Ould Mattalla pourrait sans mal figurer aux côtés d’autres guitaristes autodidactes mieux réputés, parmi lesquels l’Indien Debashish Bhattacharya, le Malgache D’Gary et le
fondateur du groupe malien Tinariwen, Ibrahim Ag Alhabib. Le point commun à cette courte diaspora est d’avoir su sortir du rang en transposant une partie du répertoire traditionnel de leurs
régions respectives sur une guitare électrique, sans jamais en dénaturer l’essence ni en déserter l’esprit. Dans le cas de ce musicien natif de Chinguetti, la cité ancestrale du Sahara
mauritanien, le transfert s’est opéré à partir du luth à deux cordes tidinit, un de ces instruments du grand désert dont la maigre sonorité cache un pouvoir d’évocation aux ressources
infinies.
La tâche de Moudou, qui avoue avoir beaucoup écouté Pink Floyd dans sa jeunesse, fut facilitée pour des raisons d’assonance évidente. Depuis Ali Farka Touré, dont il se propose ici en filleul
mauritanien très acceptable, on sait la proximité existant entre certaines structures musicales ouest-africaines et celles qui inspirèrent l’ensemble des styles issus du blues. Ce disque, où il
est accompagné par le chœur féminin El Mouna, constitue l’acte de naissance phonographique du guitariste. On s’y sent comme transporté dans l’intimité d’une veillée au pays des dunes, avec le
chant des grillons pour fond sonore, à goûter cette langoureuse plénitude qui naît du sommaire et de la fragilité. Outre l’exceptionnelle qualité poétique des musiques, le livret a le mérite de
nous révéler bien des secrets musicologiques de cette région. Tout un voyage.
Francis Dordor - Les Inrockuptibles
Si vous vous êtes déjà rendu à Chinguetti, cité entourée de dunes qui se situe dans la région de l’Adrar en Mauritanie, la musique de Moudou ould Mattalla vous est sans doute familière. Ce
guitariste se produit en effet régulièrement devant les voyageurs en quête de bonnes vibrations. Mais si vous ignorez tout du lieu et de sa culture, voici un album qui va vous donner envie de
vous rendre fissa dans ce coin du Sahara. Surtout si vous êtes déjà adepte des compositions du Malien Ali Farka Touré, car Moudou ould Mattalla est son « cousin » mauritanien. En pinçant les
cordes de sa guitare électrique, qui sonne souvent comme le luth tidinit local, il fait passer à sa manière d’identiques sensations blues subjuguantes – son attrait pour cet instrument est né à
l’écoute de groupes tels que Pink Floyd et… Scorpions. Des modes en vigueur dans la musique mauritanienne sont ici exposées selon l’ordre traditionnel. Chacun d’entre eux est destiné à susciter
une émotion : karr (insouciant), varhou (exaltant), lekhal (contemplatif), lebyad (introspectif), lebtayt (nostalgique). À l’intérieur de ce cadre, Moudou ould Mattalla joue essentiellement des
instrumentaux dans le genre ouezn, riche en possibilités d’improvisation. Il est rejoint sur plusieurs titres par quatre femmes, son épouse et trois voisines, qui chantent des airs de type
benja, chouerate et tebra. Ce sont elles qui assurent aussi toutes les percussions : claquements de mains et frappes de timbale tbel enchevêtrés créent des rythmes captivants. Cette merveille a
été enregistrée sur place, dans le studio de Moudou ould Mattalla – une pièce de sa maison qui fait également office d’atelier de réparation pour postes de radio. Cela s’est fait la nuit, comme
en atteste l’accompagnement discret, mais obstiné d’une section de grillons…
Michel Doussot - le Routard.com
La première moitié de cet album est proprement envoûtante. Le Mauritanien Moudou Ould Mattalla joue de la guitare électrique, mais ce sont les sonorités torsadées, dans les notes les plus
basses, du luth à deux cordes tidinit que l’on entend. A ses côtés à l’occasion, des femmes chantent de mélancoliques refrains et frappent dans leurs mains des rythmes euphorisants. Le désert
est là, à portée d’oreille, avec ses lentes danses syncopées qui invitent à l’ondulation des épaules et au tournoiement des têtes. Les fans d’Ali Farka Touré percevront très vite le cousinage
avec les traditions tamatchek de Tombouctou. Ceux qui ont été emballés par les quelques groupes de rock touareg qui ont percé ces dernières années auront là une occasion de se familiariser avec
leurs sources les plus rugueuses, certes, mais aussi les plus charmeuses.
A mi-parcours, la magie de ces improvisations en solo, judicieusement relayées par des chants populaires collectifs, s’effiloche un peu. Mais peut-être s’agit-il simplement de l’alternance des
modes traditionnels, d’abord festifs comme le karr et le varhou, puis de plus en plus méditatifs, le lekhal, le lebyad. D’ailleurs, au bout de la deuxième écoute, la différence est moins nette,
et l’on finit par céder à l’hypnose jusqu’aux derniers accords de guitare.
Eliane Azoulay - Télérama
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