La mondialisation, au sens de phénomène de globalisation financière, a modifié en profondeur l’organisation de nos sociétés au cours des trois dernières décennies. Avec l’explosion de
l’ultraliberalisme, l’humanité fait son entrée dans un monde dominé par la seule loi du marché. Dans ce “ nouveau monde ” où l’économie a pris le pas sur la politique, la vie de chaque
habitant de la planète est liée en partie à des décisions prises en dehors de son propre pays, et sur lesquelles il n’a aucune influence. L’ultraliberalisme, quand il n’est pas minimisé ou tout
simplement occulté par le discours politique, nous est souvent présenté comme la seule alternative possible, afin de permettre au plus grand nombre de vivre décemment, voir de prospérer. Nous
verrons un peu plus loin qu’il n’en est rien, et que les laissés-pour-compte de la globalisation financière se comptent par millions, y compris dans les pays riches et industrialisés. Ce système
économique, sorte d’aboutissement du capitalisme le plus sauvage, contribue à modifier nos modes de vie et nos valeurs. Il a tout d’abord donné un fulgurant coup de fouet à la société de
consommation en marche depuis la révolution industrielle. Et si la plus grosse part du gâteau revient aux pays “ du nord ”, c’est souvent grâce à l’exploitation pure et simple de ceux “ du sud ”,
qui eux en perçoivent à peine les miettes (parfois radioactives, et encore, celles-ci on les enterre !). Chez nous, et ce, malgré une crise persistante qui ébranle le pays, le consumérisme se
porte plutôt bien. Comme dans la plupart des pays riches, il se développe même à une vitesse exponentielle grâce à un système qui crée et génère sans cesse de nouveaux besoins. Produire pour
consommer, consommer pour produire, l’engrenage est bien huilé. L’acte de consommer serait-il devenu l’une des composantes essentielles de la “ nouvelle citoyenneté ” où la valeur d’un individu
semble se mesurer à la taille de son porte-monnaie ? Quoi qu’il en soit, le citoyen d’aujourd’hui est conditionné par un pouvoir médiatique surpuissant, qui véhicule les modes, pointe du doigt
ses besoins, tente à uniformiser ses envies, ses valeurs et ses habitudes. Ces médias de masse contribuent en effet à nous plonger dans la “ pensée unique ”, dont le 1er principe est, rappelons
le, que l’économique l’emporte toujours sur le politique. Il est clair qu’un individu qui ne se préoccupe que de consommer des biens et des services sera plus facilement écarté de toute dynamique
de projet, d’action ou de réflexion citoyenne.
Surproduction, surconsommation, et donc surexploitation des hommes et des richesses naturelles, tout cela n’est pas sans conséquence. L’ultralibéralisme a également engendré une “ surprécarité ”
à l’échelle planétaire, avec une pauvreté qui s’accroît et se développe de jour en jour un peu partout. Il est clair que ce système ne peut pas profiter à tout le monde comme certains théoriciens
ou technocrates voudraient nous le faire croire. Les effets des délocalisations, de l’exploitation d’une main d’œuvre bon marché, de la concurrence sauvage et du monopole de la production
industrielle dans certains domaines d’activité (ex : l’invasion du maïs américain à bas prix chez les paysans africains ne pouvant rivaliser), tous ces phénomènes se sont pas sans poser de graves
problèmes. Et les conséquences sont souvent dramatiques à tous les niveaux, qu’elles soient d’ordre économique, social, politique ou environnemental. Ce dernier item est sans aucun doute le plus
important si l’on se projette sur le long terme, car l’économie ultralibérale risque de nous conduire à un point de non retour sur le plan écologique. Effet de serre et réchauffement planétaire,
déforestation et processus de désertification, atteinte à la biodiversité, tout cela ne fait qu’accentuer la pauvreté à travers le monde. Certaines zones sont aussi plus sensibles que d’autres
aux catastrophes naturelles, qui quand elles ne sont pas le simple fruit de la malchance (tremblement de terre, tsunami..), sont souvent les émanations directes ou indirectes d’une activité
humaine déviante. Nous en sommes même arrivés au stade où, depuis l’époque de la guerre froide et sa prolifération d’armes nucléaires au sein des deux blocs frontaliers, l’humanité à découvert un
nouveau moyen de s’autodétruire, mais à petit feu cette fois-ci. “ L’utopie ou la mort ” écrivait l’agronome René Dumont à l’aube des années 70, dans un livre où il alertait déjà des dérives du
capitalisme outrancier. La réalité aujourd’hui a malheureusement dépassé ses plus sombres prévisions. Le paradoxe de cette triste et lente agonie n’est est que plus absurde : l’humanité, seule
espèce vivante capable de se projeter dans une vision d’avenir et ainsi, de pouvoir agir sur son destin semble, malgré sa grande intelligence, complètement inapte à réagir face au système
destructeur qu’elle a elle-même engendré. Mais devrais-je dire “ une partie de l’humanité ”, celle qui, infime, tire égoïstement les juteux bénéfices à court terme d’un système libéral taillé sur
mesure ?
Mais ce système, si bien huilé soit-il, ne conduira pas forcément à une issue fatale pour les citoyens du monde de demain. Car la mondialisation libérale interpelle, inquiète, alimente les
discussions quotidiennes, provoque le débat, parfois la révolte. Le commun des mortels ne semble pas si dépassé que ça par les événements en marche, et une contre-offensive est née avec les
mouvements altermondialistes. Et j’utilise ici volontairement le pluriel, car si l’ennemi à combattre est complexe, la “ résistance ” l’est tout autant, y compris sur la plan idéologique
(n’oublions pas qu’à sa façon, en voulant fermer les frontières, l’extrême droite prône une forme “ d’altermondialisme radical ”). J’évoquerai donc dans ces lignes le mouvement altermondialiste
tel qu’il se conçoit dans les O.N.G, les associations d’éducation populaire du type ATTAC, les syndicats tels que la Confédération Paysanne, les faucheurs d’O.G.M, les partisans du commerce
équitable, etc. Bref, les structures et les personnes qui militent pour un ensemble de valeurs humanistes partagées, telles que l’autonomie des peuples, la protection de l’environnement, la
justice économique, les droits humains fondamentaux… Le courant altermondialiste fédère de plus en plus de citoyens à travers le monde, en témoignent le succès remporté par les grands
rassemblements populaires du type forum citoyen de Porto Alegre. Pour beaucoup, il inspire davantage de confiance que les partis politiques “ classiques ”, qui partout montrent aujourd’hui leurs
limites, avec des élus aveugles et sourd, davantage préoccupés par les échéances électorales et l’accès au pouvoir que de la situation, si désespérée soit elle, de leurs administrés. Si en France
par exemple les signes d’un profond désengagement pour les partis politiques se font sentir (et ce principalement quand il s’agit de se rendre aux urnes !), on ne peut pas en dire autant de la
conscience politique de nos concitoyens, celle qui se traduit par l’intérêt pour l’autre et l’action concrète. Les foules se manifestent en effet lorsqu’il s’agit d’exprimer le refus de la
précarité ou l’espoir d’un monde meilleur et plus juste : le Non massif à la constitution européenne sacrifiant le social sur l’autel du libéral, les nombreuses manifestations anti-CPE réunissant
jeunes et moins jeunes, et à un autre niveau, les émeutes des banlieues en novembre 2006, qui à défaut d’être rationnelles et constructives, sont également le reflet d’une expression
citoyenne à prendre en considération. A croire qu’on trouve davantage de lucidité et de clairvoyance sur les grands problèmes contemporains chez les simples administrés que du côté des
politiques, pourtant “ experts ” tout désignés de ces questions fondamentales ! Heureusement pour nous, il nous reste encore quelques penseurs éclairés. Pour ma part, je lorgnerai par exemple du
côté des scientifiques tendance “ humaniste ” tels que Albert Jacquard, Edgar Morin, Joël de Rosnay ou Ignacio Ramonnet… Heureusement aussi, comme quoi tout n’est jamais complètement négatif, que
la mondialisation économique ait produit et démocratisé (encore très relativement) de nouveaux outils de communication tels que la téléphonie mobile et surtout, Internet ! Ces nouveaux médias ont
permis non seulement aux grands rassemblements altermondialistes de connaître le succès que l’on sait, mais aussi de favoriser l’émergence d’une nouvelle forme de démocratie participative
particulièrement efficace et difficilement maîtrisable, dont nos dirigeants sont encore bien loin de mesurer les enjeux. Ironique non ?
Je terminerai en rappelant que dans le langage courant actuel, “ utopique ” veut dire “ impossible ”. Une utopie est une chimère, le projet d'une société idéale et parfaite, une construction
purement imaginaire dont la réalisation est, a priori, hors de notre portée. Or, paradoxalement, l’anglais Thomas More qui a créé le mot en 1516 dans son livre “ Utopia ”, avait plutôt pour
ambition d'élargir le champ du possible. Par la suite, les utopies relevant de la littérature politique participaient d'une critique de l'ordre existant et d'une volonté de le réformer en
profondeur. N’est-ce pas comparable à la démarche et à la vision des altermondialistes ? L’humanité a montré quelle possède encore les moyens de suivre le chemin espéré par René Dumont. Cessons
de rêver à un monde meilleur et attelons nous à le construire, chacun à notre niveau. Si une utopie doit rester à l’état de simple chimère, c’est bel et bien l’ultralibéralisme ! Et l’espoir
n’est pas vain, car c’est loin d’être un rêve que partagent les 6 milliards d’être humains sur la planète…
Philippe Vallin
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