Partager l'article ! Remember Shakti - Saturday Night in Bombay: Remember Shakti - Saturday Night in Bombay (Verve/Universal Music 2001) Petit clin d'oil au ...
www.philippevallin.com Projets culturels & chroniques musicales
Remember Shakti - Saturday Night in Bombay (Verve/Universal Music 2001)
Petit clin d'oil au désormais légendaire Friday Night in San
Francisco datant de 1978, le prolifique guitariste John McLaughlin nous revient cette fois-ci sans ses vieux comparses Paco de Lucia et Al Di Meola, mais avec le collectif Remember Shakti au
grand complet (ou presque) pour une merveilleuse et envoûtante Saturday Night in Bombay. Entouré pour ce faire d'une pléiade d'excellents musiciens indiens, John nous refait une belle
démonstration de ce que peut donner la fusion du jazz et de la musique classique indienne, comme au bon vieux temps de Shakti. Mais avant d'en dire plus sur ce nouvel opus live, un petit rappel
historique s'impose : vers la fin des années 60, John McLaughlin croise la route de Zakir Hussain, jeune et talentueux tablaïste indien. Le premier va bientôt incarner le renouveau du jazz,
tendance fusion (collaborations avec Miles Davis sur des chef-d'ouvre du genre "In a Silent Way" ou "Bitches brew", création de l'incontournable Mahavishnu Orchestra). Quant au second, celui-ci
commence à faire parler de lui à une époque ou l'Inde a ce qu'on peut appeler le vent en poupe auprès de l'occident, flower power oblige. Les deux musiciens ont en commun un sens raffiné de
l'improvisation, et dès 1975, le duo complice (bientôt rejoint par le joueur de mridangam T.H. Vikku Vinayakram et le violoniste L. Shankar) est à l'initiative d'un premier disque de Shakti paru
chez Columbia, rencontre étonnante et virtuose entre le jazz et la musique classique indienne, considérée pourtant à l'époque comme une véritable institution sacrée dans le pays des 330 millions
de dieux ! Ce premier sacrilège, époustouflant sur un plan musical, rencontrera cependant un vif succès (et pas dans le seul Occident) mais ne connaîtra que deux uniques successeurs
discographiques jusqu'en 1977, date à laquelle la formation cessera ses activités. Mais pas définitivement !
En effet, à l'occasion du cinquantenaire de l'indépendance de l'Inde en 1997, le désormais légendaire Shakti se reforme, pile 20 ans après son heure de gloire, sous le nom astucieux deRemember Shakti. John McLaughlin enregistre pour cette occasion un nouvel album live (double qui plus est), témoignage numérique d'une série de concerts donnés en Grande-Bretagne dans le courant des mois précédents avec ses vieux acolytes (à l'exception de L. Shankar, remplacé par le célèbre flûtiste Hariprasad Chaurasia).
Et la magie opère toujours au travers cette nouvelle aventure qui ne restera pas sans lendemain. En effet, Remember Shakti démarre une tournée européenne en 1999 et enregistre dans la foulée un nouvel album live intitulé The Believer. T.H. Vikku Vinayakram est ici remplacé par son propre fils V. Selvaganesh qui, tout comme son illustre père, officie aux percussions (comme le ghatam ou le kanjira), perpétuant ainsi avec génie la tradition familiale. L. Shankar sera quant à lui relayé par la mandoline électrique de U. Srinivas, musicien popularisé en Europe via ses deux albums étonnants sortis chez Real World respectivement en 1994 et en 1995 (dont une fructueuse collaboration avec le guitariste et producteur touche-à-tout Michael Brook, sobrement intitulée Dream).
Aujourd'hui, à travers ce Saturday Night in Bombay, d'autres invités viennent apporter un nouveau souffle à ce Remember Shakti qui pourtant n'en manquait point (de 4 musiciens aux origines du groupe, on passe carrément à 13 sur ce nouveau disque !) Et il faut dire que les personnalités conviées font toujours figures de référence : après le maître incontesté de la flûte bansuri Hariprasad Chaurasia, on trouvera entre autres sur ce disque Debashish Bhattacharya, roi de la guitare slide à la façon hindoustanie (musique classique de l'Inde du nord) et Shivkumar Sharma au santour (cithare sur table à corde frappées, empruntée à la tradition persane).
Le résultat musical est encore et toujours pure merveille, mêlant sensualité et virtuosité sans que jamais l'une ou l'autre prenne le pas sur la seconde. Sur Luki, titre d'introduction de l'album, le chanteur Shankar Mahadevan (également présent dans cet autre excellent groupe de fusion indo-jazz, Mynta) suit de la voix les accents de la guitare et de la mandoline en une véritable et jouissive frénésie rythmique (Même schéma mais en plus calme sur Girirajh sudha).
Quant au plat de résistance de ce nouveau live, Shringar, celui-ci démarre tout en douceur pour finalement continuer à nous immerger dans la méditation onirique du haut de ses 26 minutes de pure beauté, mêlant cordes sensibles de la guitare, de la mandoline et du santour (dulcimer), sur fond de tablas et de kanjeera, sorte de tambourin du sud de l'Inde. Une merveille, à l'instar du final Bell'Alla où les tablas de Zakir Hussain jouent ici un rôle davantage énergique ! Et puisqu'on parle de ça, je conclurai en rappelant que Shakti en hindi signifie justement "énergie". Énergie communicative, sans aucun doute. Philippe Vallin
(Chronique parue dans le magazine Ethnotempos)
John McLaughlin
Vos réactions