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Ce blog est consacré à mes activités d'animateur socioculturel à la ville de Saint-Denis (93), mais aussi de chroniqueur et de musicien amateur. Au fil de ces pages, vous pourrez suivre l'actualité de divers projets professionnels et autres initiatives que je pilote ou auxquels je suis associé : rencontres et événements culturels, concerts, scènes ouvertes, jumelages artistiques, etc. Quelques chroniques musicales seront également publiées selon les coups de coeur et l'inspiration. En bref, ce site est une petite fenêtre ouverte sur mon réseau de proximité, un espace d'information et de partage d'expériences. A bientôt ! PV.

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Samedi 14 avril 2007 6 14 /04 /Avr /2007 12:37
- Par Luc Chatel
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Les oubliés du 20h

Grand Corps Malade - L'âme du slam


















Grand Corps Malade fut l'un des heureux gagnants des Victoires de la musique. Mais malgré son succès fou, il n'a pas déserté Saint-Denis où il continue à animer un atelier de slam

Saint-Denis, son Grand-Stade, sa Basilique et son roi Dagobert. En 1990, cette grande ville du 9-3 devient le centre d'un mini-séisme : Kool Shen et Joey Starr créent NTM, groupe culte d'un mouvement urbain contestataire venu des Etats-Unis, le hip-hop. Saint-Denis ouvre les yeux d'une France pépère sur ce qui deviendra le "problème des banlieues". Fabien Marsaud est adolescent. NTM, il écoute ça en boucle. Mais son truc, c'est le sport. Il devra y renoncer à la veille de ses 20 ans. Un accident bête dans une piscine : mauvais plongeon, mauvaise réception, paralysie partielle.

Une poignée d'émeutes et d'élections plus tard... Samedi 10 mars 2007. Fabien Marsaud a 29 ans. Ce soir, il monte sur scène. La salle n'est autre que le Zénith de Paris. France 2 est là, en direct. Drucker anime le show. Fabien s'avance en boitillant, le public se lève pour l'acclamer. Il vient de remporter deux Victoires de la musique : album révélation de l'année et artiste révélation-scène de l'année. Le "problème des banlieues", lui, n'est pas réglé. Alors il faut en parler, encore et encore, tenir le crachoir. Après la rage des rappeurs, la douceur des slameurs.

Fabien Marsaud, comme ses deux idoles (non exclusives : il raffole aussi de Brassens et Renaud), a pris trois initiales pour se présenter au public : G.C.M pour Grand Corps Malade. Son arme donc, c'est le slam, un genre qui vient de Chicago. Des mots, pas de musique, une prise de parole, brève, et on fait tourner. La star du slam en France, c'est lui. Silhouette de héros romantique (pensez à Boro, le reporter de Franck et Vautrin, sa grande stature et sa béquille), désarmante sérénité malgré le succès - son album fut parmi les dix meilleures ventes de 2006 tous genres confondus -, Grand Corps Malade trouve son son équilibre et son inspiration dans un jardin secret. Direction Saint-Denis.



Vieux, c'est pas un problème !


















L'atelier animé par Grand Corps Malade fait partie d'un dispositif mis en place par la ville de Saint-Denis il y a six ans, dont l'objectif est de renouveler le type d'animation proposé aux personnes âgées. Au coeur de ce dispositif, Philippe Vallin, coordinateur du service animation et vie sociale des retraités, musicien à ses heures. Embauché en 2000, il proposa d'impliquer les personnes âgées dans le choix et l'organisation de leurs activités. Ainsi furent créés un atelier multimédia à la résidence Croizat, et un atelier chanson, qui inspira l'atelier slam. Le succès est tel que les participants sont régulièrement sollicités pour accompagner d'autres évènements : une exposition au musée, un café culturel pour la journée des femmes, une session sur la santé organisée par les Petites Soeurs des pauvres...



PAPIER, CRAYON ET SYNOMYMES

















Tous les mercredi, un cercle d'amis qui lui est très cher se réunit. Le rendez-vous a lieu tantôt à la résidence Croizat pour personnes âgées, tantôt à la MJ (maison des jeunes). C'est là que depuis septembre, il anime, avec Emilie, une autre slameuse, des ateliers où viennent les plus de 60 ans et les moins de 30 ans. Une quinzaine de personnes environ. Marcello, Ruddy, Nicole, Henriette ou Axel se retrouvent deux heures autour d'une table. Le matériel : crayon, papier, et un dictionnaire des synomymes. Le type à la béquille, pour eux, c'est Fabien. Simplement. L'ami qu'on est allé voir à l'Olympia, auquel on a demandé une ou deux fois des autographes pour les proches. Mais eux, Marthe, Soraya et les autres, l'idée ne leur serait pas venue. Concentrons-nous plutôt sur l'exercice du jour. On forme deux groupes, on imagine un mini-scénario autour d'une action donnée. Dans le groupe de Fabien, c'est un chat qui s'échappe des bras de sa maîtresse et manque de se faire renverser par une voiture. Répartition des rôles : Soraya sera le chat, Christine la maîtresse, Fabien le conducteur de la voiture et Ruddy un passant qui sauvera le chat. Trois quarts d'heure plus tard, ils liront leur slam à quatre voix, avec cette touche très visuelle, séquencée, qu'apporte Grand Corps Malade à ses textes. La semaine précédente, il y avait un même thème pour tous, la France. Des extraitsde leurs textes seront sélectionnés par un autre slameur, D'de Kabbal, qui réalisera un CD pour la fin de l'année, avec des voix d'artistes connus. Le tout financé par la ville de Saint-Denis, qui a développé depuis quelques années un service hip-hop.

















Fabien Marsaud a pu quitter son métier, dans l'évènementiel sportif, il y a trois ans, grâce aux ateliers slam financés par Saint-Denis et d'autres villes de banlieue. Des ressources dont il n'a plus vraiment besoin. S'il fera tout pour continuer l'atelier inter-âges l'an prochain, c'est d'abord parce qu'il y trouve du plaisir. "Le succès m'a apporté beaucoup de choses, notamment la découverte d'un monde que j'ignorais, avec les plateaux télé, les gens qui t'écrivent, les fans qui t'adorent. Et au beau milieu de cette vie là, un peu irréelle, je trouve ça mortel d'aller dans une petite salle de MJ avec des jeunes et des vieux pour écrire ensemble." Là, il retrouve l'esprit du slam, l'échange de textes, le travail des mots, l'écoute. "Nous avons travaillé sur certains thèmes qui ont permis de profiter du croisement des générations, souligne Fabien. Je me souviens notamment d'un exercice où on leur demandait de fonctionner en binôme et d'écrire en se mettant à la place de l'autre : un jeune sur le thème "je vais t'apprendre la vie", et un retraité qui jouait le candide. Une autre fois, ils devaient utiliser le vocabulaire typique de l'autre génération : les retraités devaient utiliser "je te kiffe" ou "bédo" et les jeunes "fermer les quinquets" ou "gisquette"."

CHAUFFE MARCELLE !















Marcelle, 67 ans, participe à l'atelier depuis son début, en novembre 2006. Elle n'aime pas du tout le rap, mais fut séduite par Grand Corps Malade dès qu'une amie de la résidence Croizat le lui fit découvrir. "Il ne critique pas, reste positif, décrit bien ce qu'il voit autour de lui, il n'y a pas de brutalité dans ses textes" explique-t-elle. "Il y a une différence entre le rap, qui est pratiqué par des jeunes de moins de 30 ans, et le slam, qui est intergénérationnel, souligne Fabien. C'est sans doute pour cela qu'il est moins violent, moins revendicatif. Les thèmes s'en ressentent, ils sont plus larges". L'atelier a aussi permis à Marcelle de modifier son rapport à l'écrit. "J'aimais beaucoup écrire quand j'étais enfant, mais dans ma famille, il fallait d'abord penser à travailler pour gagner sa vie", raconte-t-elle. Marcelle devra laisser son envie de côté, quitter l'école à 14 ans pour entrer à l'usine, à Paris. Où elle restera jusqu'à sa retraite, en 1993. Depuis, elle s'est remise à écrire. "Mes textes étaient virulents. Grâce à l'atelier, je me suis assagie." L'écriture lui permet aussi d'occuper ses nuits d'insomnies. "Souvent je n'arrive pas à dormir, alors je m'installe devant la télé, je coupe le son, et j'écris pendant parfois trois ou quatre heures."

LITANIES URBAINES

Christine, elle, a découvert l'atelier en cherchant des informations sur Grand Corps Malade, par internet. A 32 ans, elle est l'aînée des jeunes. Elle travaille pour le conseil général du Val-de-Marne, où elle suit les dossiers de placement d'enfants. Depuis longtemps, elle tient un journal intime. Elle a constaté le même effet positif de l'atelier : "Dans un monde dur, il n'y a pas toujours de place pour l'expression des sentiments." Si l'écriture permet d'évacuer certaines choses personnelles, le slam sert aussi à raconter un environnement urbain où se mêlent humanité souriante et réalité sociale violente. Une réalité assez éloignée de celle qu'elle connut jusqu'à l'âge de 16 ans dans son île natale, la Nouvelle Calédonie. "Le slam m'a permis de me laisser plus facilement porter par le quotidien, commente Christine. J'essaie d'avoir toujours de quoi écrire avec moi pour noter des pensées, des observations. Le slam est très lié à la vie urbaine." Les textes de Grand Corps Malade en sont l'expression, avec, en tête, l'hymne à Saint-Denis : "J'voudrais faire un slam pour une grande dame que j'connais depuis tout petit / J'voudrais faire un slam pour celle qui voit ma vieille canne du lundi au samedi [...]  Si tu veux bouffer pour 3 fois rien, j'connais bien tous les petits coins un peu poisseux / On y retrouvera tous les vauriens, toute la jet-set des aristocrasseux / Le soir, y'a pas grand chose à faire, y'a pas grand chose d'ouvert / A part le cinéma du Stade, où les mecs viennent en bande : bienvenue à Caillera-Land / Ceux qui sont là rêvent de dire un jour "je pèse !" et connaissent mieux Kool Shen sous le nom de Bruno Lopez [...] St-Denis ville sans égal, St-Denis ma capitale, St-Denis ville peu banale.. où à Carrefour tu peux même acheter de la choucroute Hallal !"

















Grand Corps Malade a fait du Café Culturel de la ville, qui fut l'un des premiers lieux du slam en France, l'un des endroits de référence pour sortir le soir. Une fois par mois, il y anime une scène ouverte Slam'aleikoum. "Je ne voudrais pas vivre ailleurs qu'à Saint-Denis, reconnait-t-il. J'aime ce cadre urbain, j'ai besoin que ça grouille de monde autour de moi, j'ai besoin d'entendre du bruit, des gens." C'est là, dans son petit appartement de la place du Caquet, qu'il observe le coeur de la ville, ses cars de flics qui débarquent en pleine journée pour courir après un gamin qui vient de piquer un portable et traverse fièrement la place en saluant tous ses potes, ceinturé par trois malabars, et ces soirées où des groupes d'ados mettent à terre n'importe qui, homme ou femme, jeune ou vieux, pour le dépouiller violemment de quelques billets et bijoux. Ce qui le fait bien marrer en revanche, c'est le "Café de France", planté au beau milieu de la place, avec des fleurs de lys sur la vitrine et dont les patrons viennent du Maghreb. De son poste d'observation, il y a juste une chose qu'il n'avait pas vu venir aussi vite : ce succès fou couronné par deux Victoires de la musique. Sacrée blague pour un slameur qui, par définition, se contente de la musique des mots, et dont les victoires s'accumulent depuis déjà un bail : sur le handicap, sur les clichés liés à la banlieue et au hip-hop ou sur les discours ciblant une jeunesse menacante. Des victoires qui ne sont pas faites pour briller en public ou reposer sur un coin de cheminée, mais qui tiennent certainement chaud au coeur.


Luc Chatel
hebdomadaire TC - édition du 22 mars 2007
www.temoignagechretien.fr



www.grandcorpsmalade.com


Crédit photos (pour le blog seulement) : Aiman Saadellaoui, Laurence Thimothé, Boris Lelong, Marcel Vernière, Philippe Vallin
Article original version papier
: Jean-Michel Delage



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