C’est grâce à l’implication passionnée de Stéphane Grondin dans la promotion des
musiques de la Réunion qu’une nouvelle génération d’amateurs a pu découvrir (ou redécouvrir) Gramou Sello, icône incontournable du maloya traditionnel. Disparu de la scène après plus d’une
vingtaine d’années de prestations musicales aux quatre coins de l’île, Gramoun Sello, de son vrai nom Michel Sophie, reprend du service en 2006 sous l’impulsion de l’activiste culturel Stéphane
Grondin, qui produit alors sur son nouveau label
Maloyallstars l’excellent et bien nommé
Légende du Maloya. Après les disparitions successives des ténors du genre que furent Lo
Rwa Kaf, Gramoun Lélé et autre Gramoun Baba, Gramoun Sello demeure l'un des derniers grands représentants du maloya réunionnais. Son retour à l’affiche et sur les routes tombe ainsi à point nommé
pour que la culture maloya reste pérenne dans sa vivacité et que son héritage puisse être "passé" aux jeunes générations.
C’est tout jeune enfant que Michel Sophie, alors qu’il travaille déjà dans une plantation de canne à sucre, découvre dans les soirées
kabarés cette singulière musique métissée de l’Océan
Indien, créée à l’origine sur l’île Bourbon par les premiers arrivants esclaves afro-malgaches. On peut définir le maloya comme une forme d’expression populaire qui entremêle complaintes chantée,
rythmes binaires et ternaires enfiévrés, pulsations enrichies dans le temps par l’ajout de nombreux instruments percussifs, tels que le
Pikèr, le
bobre ou le
Kayamb. La pratique rituelle et familiale du
servis kabaré, où l’on célèbre par le chant et la danse la mémoire des défunts, fascine le jeune ouvrier agricole, à tel point qu’il
en deviendra lui-même musicien. Mais il faudra attendre 1980 pour que Michel Sophie, devenu Gramoun Sello, fonde avec quelques amis la fameuse troupe Roséda, célèbre formation locale avec
laquelle il enregistrera une dizaine d’albums de maloya traditionnel jamais réédités, et devenus aujourd’hui de véritable objets collectors. Gramou Sello se retire de la scène vivante au seuil
des années 2000, laissant à d’autres héritiers du genre le soin d’en reprendre le flambeau et de perpétuer la tradition
Parmi ceux-là, on peut compter sur Stéphane Grondin, chanteur du groupe Melanz Nasyon et fondateur du label
Maloyallstars. Cette structure associative tente aujourd’hui de fédérer les
apprentis maloyeurs de la Réunion au sein d’un talentueux collectif, dynamique et porteur d’événements culturels. Et quoi de mieux pour aller de l’avant que de mélanger l’expression des jeunes et
des anciens ? C’est dans cet état d’esprit et philosophie que Stéphane Grondin tente de motiver l’illustre Gramoun Sello afin qu’il remette le pied à l’étrier. Et la mission semble accomplie avec
brio puisque l’artiste arpente à nouveau les scènes maloya bien au-delà des contours de l’île, et qu’il publie avec quelques membres musiciens de l’écurie
Maloyallstars un nouvel album
tout aussi réussi que le précédent. Avec sa voix chaude et puissante, ses phrasés rythmés et incantatoires, Gramoun Sello nous livre avec
Ampélémouné (traduisez
La fête
malgache) une très belle performance, enregistrée une nouvelle fois dans les conditions du live, seule technique permettant de retranscrire fidèlement toute l’énergie communicative et la
spontanéité du "maloya roots".
Les 11 titres qui donnent corps à ce nouveau cocktail festif fait de cadences explosives et de voix incandescentes, explorent à nouveau les thématiques chères au Gramoun. A travers ses textes aux
paroles simples et directes, l’artiste réunionnais nous livre des événements intimes de son parcours, quelques tranches de vie qui ont marqué sa propre existence. Dans cet hymne à la tolérance et
à l’identité, il rend ainsi hommage à des pans entiers de la culture créole, avec en premier lieu celle de ces gens que l’on croise au quotidien, et avec lesquels on partage valeurs et labeurs,
douceurs et saveurs, malheurs et bonheurs.... Aussi, en choisissant de reprendre quelques chansons rituelles et profanes très anciennes, Gramoun Sello, consacré en 2007 "meilleur groupe
traditionnel" aux Césaires de la musique, agit dans l’espoir que puisse se transmettre la mémoire de ce territoire et de ses habitants.
Espérons que l’artiste créole continuera encore longtemps à cultiver ce précieux héritage et à scander tout haut ce bel "esprit village" qui l’anime lui et ses pairs, dans un monde en perte de
sens, de repères et en grand déficit d’un produit de haute nécessité qu’on appelle tout simplement vivre ensemble. A quand une tournée du Maloya All Stars au grand complet à travers l’hexagone,
où cette musique énergisante, conviviale et si généreuse reste encore malheureusement trop méconnue du grand public ?
Vos réactions