Elle a fermé les yeux
Elle a fermé les yeux un jour de mai, et elle nous a quitté en silence
S’est envolée vers d’autres cieux à jamais, elle a tiré sa révérence
Elle est partie sans faire d’histoire, discrètement, comme elle a vécu
Mais aux tréfonds de nos mémoires, son âme n'aura point disparu
Elle a fermé les pages d’un livre, un roman fleuve en plusieurs tomes
Une encyclopédie de souvenirs léguée à ceux qu’elle affectionne
Quoi de plus beau comme héritage, que ces émotions singulières
Comment oublier le doux visage et l’affection de ma grand-mère ?
Elle s’est penchée très tôt vers moi, elle avait déjà les cheveux blancs
Elle est restée toujours comme ça, figée dans mon regard d’enfant
Dans ses yeux brillait tant d’amour, j’en ai fait le plein pour la vie
Elle a illuminé mon parcours, c’est sur son chemin que j’ai grandi
Comment aurait-elle pu quitter son village ? Au nord, c’était les corons
Moi je garderai les images des briques rouges de ces petites maisons
De ces ruelles aux noms d’oiseaux que des inconscients ont détruit
Il n’est pas venu assez tôt, le triomphe de "bienvenue chez les chtis"
C’est dans ce petit monde accueillant que j'ai fait mes tout premiers pas
Guidé par la main d’une maman, oui, elle représentait tant pour moi
Elle m'a appris le don de soi, le partage, le respect et l’humilité
Elle avait du cœur à l’ouvrage, c'est clair, j'ai pas eu l’exclusivité
Elle a fermé les yeux après une existence passée à s’occuper des autres
A commencer par Emile, son mari, Hortense le chérissait telle une apôtre
Au retour de la fosse, elle devait frotter dur sa peau maculée de charbon
Au milieu de la salle à manger, c'est sûr, elle en a usé bien des savons
Pas de fioritures ni bonnes manières "din l’vieux pays d’ché mineux"
Mais des gens solides et sincères, vous ne trouverez pas plus généreux
Ma grand-mère était de ceux là, chez elle, le café était toujours chaud
Un défilé perpétuel de voisins, d’amis, la famille, on n’était jamais trop
Je me souviens des réunions interminables et des parties de rami
Bien serrés autour de la table, à jouer, en attendant la tarte au Libouli
Ce ne sont pas des images d’Épinal, mais quelques parts de vérité
Toutes ces anecdotes peu banales, j’en aurais des tonnes à raconter
Elle a fermé les yeux et a ouvert les miens aux valeurs de son existence
Des moments merveilleux passés là haut dans ce coin sinistré de France
Combien de ces souvenirs bien vivants que le temps n’effacera jamais
Mais combien de ses sourires pétillants qui vont tellement me manquer
Elle a fermé les yeux à Haillicourt, son petit bourg où a elle a tout investi
Elle en connaissait chaque contour, jusqu'au jour où s’émousse le terril
Symbole du monde qu’elle a connu, et dont elle rejoindra la poussière
Car c’est ainsi qu’elle l’a voulu, elle avait même sa place au cimetière
Elle a fermé les yeux un jour de mai et elle nous a quitté en silence
S’est envolée vers d’autres cieux à jamais, elle a tiré sa révérence
Elle a terminé son ouvrage, mais grâce à elle, je peux écrire le mien
Je lui en dédierai chaque page, une pensée, tout au long du chemin…
A Hortense Roselé (1909 - 2008)
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